Babillard

L’expropriation déguisée et la protection de l’environnement : la planification comme moyen de prévention

Cette chronique est présentée par : Me Audrey St-James, avocate, Service d’assistance juridique

Les recours en expropriation déguisée contre les municipalités se sont multipliés au cours des dernières années. Avec le récent rejet par la Cour suprême du Canada de la demande d’autorisation d’appel de la Ville de Mascouche[1] et plusieurs autres jugements importants, certaines notions ont été confirmées alors que d’autres restent encore à éclaircir.

Néanmoins, il est généralement accepté que l’expropriation déguisée se définit comme étant la restriction imposée équivalente à « une suppression de toute utilisation raisonnable du lot, une négation de l’exercice du droit de propriété ou encore, à une véritable confiscation ou à une appropriation de l’immeuble ». Ainsi, la réglementation d’urbanisme est souvent en cause dans ce type de dossiers. Cela est d’autant plus vrai en matière de protection de l’environnement où des restrictions sont forcément imposées aux propriétaires.

Pouvoirs réglementaires habilitants

Les municipalités disposent de nombreux pouvoirs en matière de protection de l’environnement, toutefois ceux-ci n’ont pas tous la même portée.

En matière de zonage, par exemple, l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[2] (LAU) prévoit qu’il est permis de « spécifier » certains usages et qu’une municipalité peut, dans certaines circonstances, « régir ou restreindre » ou « régir ou prohiber ». De là l’importance de bien déterminer en vertu de quelle disposition la réglementation est adoptée.

Avant de modifier le zonage pour interdire tout usage autre que ceux de conservation et de parc, la municipalité doit faire preuve de prudence, puisque cela pourrait être considéré comme une expropriation déguisée par les tribunaux. En effet, ces types de zonage, sauf exception[3], ont tendance à prohiber tous les usages raisonnables possibles pour le propriétaire, ce qui excède le pouvoir accordé par la LAU de « spécifier » les usages.

Les tribunaux ont cependant reconnu qu’il est possible pour les municipalités de prévoir des restrictions ou des limitations d’usage, d’abattage d’arbre et de construction en fonction de certaines caractéristiques comme, notamment, la topographie, la présence de milieux humides, la protection du couvert forestier ou d’une source d’eau potable municipale, et ce, sans que cela ne constitue inévitablement une expropriation déguisée[4].

Bien planifier pour bien protéger

Afin d’être bien préparée, toute municipalité devrait se poser une question essentielle : quel est son objectif? Est-ce qu’il s’agit que de protection ou y a-t-il également un objectif de mise en valeur ou d’accessibilité à population? Cette réflexion permettra de planifier les étapes et la façon d’atteindre le résultat souhaité.

À ce titre, la jurisprudence a démontré qu’une municipalité doit faire preuve d’une grande prudence lorsqu’elle souhaite adopter un zonage restrictif dans le but d’utiliser le terrain d’un tiers pour son bénéfice ou celui de sa population, sans l’accord exprès de son propriétaire. Advenant un tel accord, une entente d’utilisation doit être rédigée de façon très claire. Sans quoi, cette utilisation pourrait être perçue comme une appropriation de l’immeuble, ce qui, combiné à un zonage restrictif, peut être considéré par les tribunaux comme étant une expropriation déguisée.

Par ailleurs, dans la mesure où les intentions de la municipalité sont axées sur la mise en valeur de l’immeuble avec, par exemple, l’aménagement d’installations permanentes, il serait pertinent d’envisager l’acquisition des terrains ciblés, soit de gré à gré ou par expropriation[5].

Toutefois, si la municipalité n’a aucune intention de les mettre en valeur ou de les utiliser et qu’elle désire uniquement en assurer la protection, elle doit analyser les outils réglementaires à sa disposition et leurs impacts respectifs afin de choisir le meilleur moyen d’atteindre ses objectifs tout en respectant les pouvoirs habilitants.

Parfois, la mise en place d’un zonage très restrictif n’est pas la seule option et une bonne planification permet d’explorer d’autres pistes de solution. Les avocats du Service d’assistance juridique peuvent vous guider dans cet effort de planification. Contactez-les à saj@fqm.ca.


[1] Dupras c. Ville de Mascouche, 2022 QCCA 350 (demande d’autorisation d’appel rejetée).

[2] RLRQ, c. A-19.1.

[3] Ex. : Municipalité de Saint-Colomban c. Boutique de golf Gilles Gareau, 2019 QCCA 1402.

[4] Ex. : Wallot c. Québec (Ville de), 2011 QCCA 1165 et 9034-8822 Québec inc. c. Sutton (Ville de), 2010 QCCA 858.

[5] Par la procédure prévue à la Loi sur l’expropriation (RLRQ, c. E-24).