Babillard

Dispositif antiretour : pourriez-vous invoquer l'exonération?

Chronique présentée par le Service d’assistance juridique (SAJ) de la Fédération québécoise des municipalités (FQM).

L’article 21 de la Loi sur les compétences municipales prévoit une présomption de non-responsabilité en cas de dommages causés à un immeuble ou à son contenu, si le propriétaire néglige ou omet d’installer un appareil destiné à réduire les risques de dysfonctionnement d’un système d’égout ou d’alimentation en eau, conformément au règlement adopté par la municipalité.

La Loi prévoit même qu’un tel règlement peut s’appliquer à un immeuble déjà érigé s’il prévoit un délai minimal d’un an pour permettre au propriétaire de s’y conformer. Plusieurs dossiers de contestation ne se rendent pas jusqu’à la cour, justement en raison de l’encadrement règlementaire adéquat par les municipalités. Néanmoins, dans le cas de réclamations contestées, la jurisprudence récente en la matière démontre l’importance pour les municipalités d’adopter un tel règlement et les différents enjeux qui y sont liés.

Quelle que soit l’année de construction

Dans Albert c. Municipalité de Saint-Jean-de-Dieu (2022 QCCQ 7165), les demandeurs réclament la somme de 13 364,41 $ à titre de dommages causés à leur drain français par les racines d’un érable appartenant à la Municipalité. Étant donné qu’ils n’ont démontré aucune preuve que la présence d’un clapet anti-retour aurait pu empêcher le refoulement, la Cour du Québec a rejeté la réclamation. Puisque la Municipalité avait adopté un règlement relatif à l’obligation d’installer des protections contre les dégâts d’eau, applicable même aux immeubles construits avant son entrée en vigueur, le juge confirme que l’exonération de responsabilité de l’article 21 de la Loi trouve application.

Présomption relative

Le dossier Bergevin c. Ville de Québec (2022 QCCQ 1462) est parfait pour illustrer que la présomption de non-responsabilité n’est pas absolue. Dans cette affaire, le demandeur soutient que le refoulement des eaux usées est survenu en raison de travaux effectués par la Ville sur le réseau municipal d’égout devant chez lui quelques jours avant le sinistre. Il a été démontré que malgré la présence d’un clapet, même possiblement défaillant, un refoulement serait survenu tôt ou tard. La Ville a donc dû indemniser le demandeur.

Fait autonome ou intervention humaine

Dans l’affaire Aubé c. Ville de Longueuil, 2022 QCCQ 9438, la Cour du Québec condamne la Ville à indemniser la demanderesse pour des dommages causés par la rupture d’une vanne trois jours après que la Ville ait effectué des manipulations sur son réseau d’aqueduc. S’il est établi que le préjudice a été causé par le fait autonome du bien, la demanderesse peut bénéficier de la présomption de faute prévue à l’article 1465 du Code civil du Québec. Au contraire, si le bris résulte d’une intervention humaine, la demanderesse ne dispose plus de la présomption légale de faute et doit faire la preuve d’une faute commise par la Ville ou ses employés. Dans ce dossier, le tribunal retient qu’en toute probabilité, les dommages ont été causés par une manipulation déficiente de la vanne, ce qui a provoqué le bris de la conduite d’égout. Bien que la Ville ait réussi à démontrer une absence de faute dans la surveillance, l’entretien et la conception de son réseau, cela n’a pas d’impact sur sa responsabilité, puisque la preuve d’une faute a été démontrée.

Conduite prudente et diligente

Dans l’affaire Poiré c. Ville de Plessisville, 2022 QCCQ 6051, la demanderesse réclame à la Ville les dommages causés à sa résidence à la suite d’un troisième refoulement survenu en moins d’un an. Le tribunal détermine que la Ville n’est pas responsable des dommages, car bien que le réseau d’égout unitaire en question soit désuet, plusieurs mesures d’entretien ont été mises en place par la Ville dans l’attente de solutions permanentes. La Cour rappelle le principe énoncé dans l’arrêt Dicaire c. Chambly (Ville de), 2008 QCCA 2004, à l’effet que l’ « on ne peut demander aux municipalités de concevoir des réseaux capables de répondre à toutes les situations ».

Visibilité versus accessibilité du dispositif

La décision Michaud c. Ville de Matane, 2023 QCCQ 319, porte plus spécifiquement sur les exigences relatives à la conformité du clapet anti-retour.  À la suite d’une réclamation liée à un refoulement d’égout, la Ville conteste sa responsabilité et soutient que le clapet anti-retour n’était pas accessible, puisqu’il se trouvait sous un meuble vissé au sol. Bien que le clapet soit propre et fonctionnel, la Ville maintient que celui-ci n’est pas accessible en tout temps et donc qu’elle peut bénéficier de l’exonération prévue à son règlement. La Cour retient qu’il était possible d’accéder au clapet en retirant quelques vis, donc celui-ci rencontrait les critères d’accessibilité.

Ces décisions rendues récemment par les tribunaux démystifient les particularités applicables aux clapets. Bien que certains enjeux demeurent, il est incontestable que les municipalités ont tout avantage à adopter un règlement donnant ouverture à l’application de l’exonération de responsabilité. Pourriez-vous l’invoquer?

Pour plus d’information sur le sujet, contactez le Service d’assistance juridique (SAJ) de la Fédération québécoise des municipalités (FQM) à saj@fqm.ca.

Me Marie-Hélène Savard
Directrice, Service d’assistance juridique et de prévention des sinistres

Me Véronique Gendron
Directrice, Service des affaires litigieuses